La « belle-famille » : une affaire de fierté camerounaise
J’ai choisi pour vous ce matin le mot « belle-famille ». Selon le Larousse, la belle-famille est la famille du conjoint, mari ou épouse. C’est un mot du quotidien que tous les francophones mariés ou vivant en concubinage, utilisent soit pour revendiquer en sous-texte, le respect de leurs interlocuteurs, tant il est vrai qu’être le mari ou la femme de quelqu’un est signe de distinction sociale chez nous, soit pour se plaindre de coups bas à n’en plus finir. La belle-famille, c’est un peu comme le pouvoir et l’opposition : la cohabitation autant que la critique acerbe systématique sont inévitables. Tous les coups sont permis dans une guerre sans merci qui ne dit jamais son nom, du moins quand la chance vous a tourné le dos. Intégration culturelle, discrimination au faciès, opposition entre le cœur et la rancœur, la raison et la déraison, la belle-famille a le don de faire couler beaucoup d’encre et de salive, mais aussi beaucoup de larmes, de douleur et joie, parfois.
Depuis environ trois ans, en francophonie, le mot « belle-famille » s’est mué en périphrase et c’est peu dire qu’il a le vent en poupe au Cameroun. (Je le rappelle, la périphrase c’est l’expression par plusieurs mots d’une notion qu’un seul mot pourrait exprimer). La raison (de l’avènement de cette périphrase) est en fait bien connue, « la belle-famille » désigne un territoire délimité par des frontières : j’ai nommé la Cote d’Ivoire, référence à l’un des couples de star les plus célèbres d’Afrique voire du monde : Georgette et Samuel Eto’o. Difficile de dire qui détient la paternité de ce mot, mais il est très probable qu’il s’agisse d’une création lexicale camerounaise. Et pour une fois, la « belle-famille » n’évoque pas une réalité offusquante mais plutôt coruscante. Tout le Cameroun jeune en parle avec fierté, tant Samuel Eto’o, arnaque ou pas, semble au moins avoir été programmé pour réussir son passage au grade de fierté nationale. Grâce à son union avec Georgette, l’actuel président de la FECAFOOT aura dompté des lions et des éléphants. Au nom de Samuel Eto’o, les Lions d’ici ne craignent pas de tutoyer les éléphants de là-bas, des éléphants qui, pourtant, sont impressionnants par leur taille et par les ivoires qui font leur charme et leur force de frappe. Sur fond de rivalité à la fois footballistique, sociale et même économique, les Lions camerounais et les éléphants ivoiriens aiment se disputer la vedette. Dernière illustration en date, l’organisation de la cérémonie d’ouverture de la Coupe d’Afrique des Nations le 13 janvier 2023, une représentation colorée mais largement raillée par des Camerounais narcissiques qui estiment, à tort ou à raison, que « Le Continent », il y a deux ans, a fait mieux et donc a encore damé le pion à la belle-famille. Si on allait voir un peu plus loin au risque de tordre la réalité, la belle-famille, du point de vue de la psychologie sociale, c’est aussi la transcription de la domination de l’homme sur la femme, étant donné que dans le discours social, la « femme » prise comme conjoint, vit sous la domination de son homme à qui elle doit une soumission irréprochable. La Côte d’Ivoire c’est l’épouse symbolique du Cameroun et donc, cet axiome, si j’ose dire, s’applique sans autre forme de procès. Dans plusieurs interviews accordées à la presse internationale en 2010, Bertrand Badie, professeur de relations internationales à Sciences-Po Paris déclarait : « Nous sommes entrés dans l’ère des relations (non plus internationales) mais intersociales ». Le mot « belle-famille », à l’évidence, lui donne totalement raison._
Alain Patrick Fouda sur ABK MATIN